L’île du Rhin : une mosaïque de milieux naturels
Bien que l’écosystème rhénan ait été complètement bouleversé par l’aménagement du Rhin, plusieurs facteurs expliquent la richesse des milieux naturels de l’île du Rhin :
- le peu d’activités humaines qui se sont installées et développées sur ce territoire,
- sa faible fréquentation et la quiétude qui en découle,
- sa superficie importante (1623 ha),
- la présence d’habitats forestiers anciens (forêts non défrichées),
- l’absence de reboisement suite aux défrichements, qui a permis l’expression de communautés végétales pionnières et post-pionnières,
- la présence de plusieurs ensembles de pelouses sèches,
- la persistance de quelques zones humides, en particulier au Nord de l’île,
- la proximité du Vieux-Rhin et de la Trockenau, vaste espace naturel de 3132 ha en rive allemande.
De plus, l’ensemble du fossé rhénan se situe à un carrefour biogéographique entre les domaines atlantique, méditerranéen et continental. Cette position géographique se traduit au niveau des communautés animales et végétales par des assemblages originaux et l’existence de nombreuses espèces en limite d’aire de répartition.
Le Rhin lui-même a joué un rôle important dans l’installation d’espèces d’origine alpine dont il subsiste encore aujourd’hui quelques éléments, comme par exemple la Scrofulaire des chiens (Scrophularia canina), l’Épilobe à feuilles de romarin (Epilobium dodonaei) ou le Saule daphné (Salix daphnoides).
Par ailleurs, la vallée du Rhin, enserrée entre les Vosges et la Forêt Noire, et située dans le prolongement de la vallée du Rhône, représente à l’échelle de l’Europe occidentale une voie de migration majeure pour l’avifaune.
Au niveau de la flore, 621 espèces de plantes ont été recensées sur l’île du Rhin. Sur les 116 espèces considérées comme déterminantes pour la désignation de zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), 76 sont inscrites sur la liste rouge des plantes menacées en Alsace et 28 bénéficient d’un statut de protection réglementaire.
Pour la faune, les inventaires réalisés ont permis de recenser 672 espèces, dont 148 espèces déterminantes pour les ZNIEFF, 161 espèces figurant sur les listes rouges des groupes concernés et 132 espèces protégées en France. Ces inventaires sont encore partiels pour plusieurs ordres d’insectes.
Les pelouses sèches
Caractérisées par une végétation herbacée basse et clairsemée, piquetée de bosquets d’arbustes, les pelouses sèches calcicoles de l’île du Rhin, tout comme leurs cousines des collines sous-vosgiennes, sont des milieux d’intérêt écologique majeur. Elles figurent parmi les habitats prioritaires de la directive européenne faune/flore/habitats.
Elles se différencient des prairies par une végétation moins haute et moins dense et par définition, subissent une période de sècheresse liée notamment au type de substrat fortement drainant sur lequel elles se développent : les anciennes alluvions rhénanes.
Ces formations recèlent une diversité biologique exceptionnelle. Refuges d’espèces d’affinité méridionale, elles abritent de nombreuses espèces animales et végétales protégées. Elles sont notamment réputées pour leur intérêt floristique puisqu’elles constituent l’habitat de prédilection de nombreuses orchidées, espèces emblématiques caractéristiques de ces pelouses. La diversité végétale y favorise l’abondance des insectes et de leurs prédateurs (oiseaux, reptiles). Les pelouses sèches de l’île du Rhin abritent par exemple près des 2/3 des papillons de jour présents en Alsace.
Peu productives en terme agricole, les pelouses sèches sont en régression partout en Europe en raison de l’abandon ou de l’intensification des pratiques agro-pastorales. Aujourd’hui, elles n’occupent plus que des surfaces restreintes, environ 5% de la surface sur l’île du Rhin. Leur conservation nécessite des travaux d’entretien par la fauche ou le pâturage pour empêcher leur colonisation naturelle par les arbustes.
A l’ouest de l’île du Rhin, les digues du Grand Canal d’Alsace comptent également parmi les pelouses sèches les plus remarquables d’Alsace, de par leur surface et surtout leur fonction de corridor. Elles abritent quelques raretés botaniques comme le Lin d’Autriche (Linum austriacum), la Piloselle de Hongrie (Hieracium auriculoides subsp. asperrimum) … ou entomologiques comme l’Écaille roscide (Setina roscida) ou l’Ascalaphe soufré (Libelloides coccajus).
Les forêts
L’île du Rhin est en grande majorité forestière. Près de 70% de la surface est occupée par des forêts qui se déclinent en une mosaïque de types différents, surtout en fonction de l’influence plus ou moins grande de la nappe phréatique et de leur histoire.
Dans le Nord de l’île du Rhin, la nappe phréatique proche de la surface détermine des forêts typiquement alluviales. Il s’agit de la frênaie-ormaie qui est remplacée ponctuellement par la saulaie blanche sur les terrains les plus humides. Plus on descend vers le Sud, plus la nappe phréatique est profonde et les terrains secs. La forêt rhénane classique est remplacée par une chênaie-tillaie, originale pour la région. Sur les grandes surfaces décapées pendant les travaux de creusement du Grand Canal d’Alsace (de 1928 à 1959), malgré l’aridité des sols, la régénération forestière est étonnamment de type alluvial, avec des formations de Peuplier noir, d’Argousier et de saules arbustifs. Cependant, ce stade forestier pionner évolue ensuite vers la chênaie-tillaie.
Grâce à leur diversité, leur complexité et aux possibilités de nourriture abondantes, les forêts de l’île du Rhin accueillent une remarquable diversité d’oiseaux nicheurs (passereaux, pics, rapaces, colonies de hérons…) et quelques plantes particulières comme par exemple le Faux Pistachier (Staphylea pinnata), la Sauge glutineuse (Salvia glutinosa) ou le Pigamon à feuilles d’ancolie (Thalictrum aquilegiifolium).
Les zones humides
L’ancien réseau de bras du Rhin, autrefois très actif, est aujourd’hui déconnecté du fleuve et asséché. Seuls persistes quelques plans d’eau et des remontées de nappe dans la partie Nord de l’île du Rhin, grâce au barrage agricole de BREISACH mis en service en 1970 et qui a permis le rehaussement du toit de la nappe phréatique dans ce secteur. Plus au Sud de l’île, hormis quelques mares temporaires dans le secteur de Fessenheim, le seul autre point d’eau se trouve à Petit-Landau. Il s’agit d’un ancien fossé de dérivation très profond alimenté par la nappe phréatique. Il a été baptisé Ackermannsgiessen.
Les zones humides de l’île du Rhin occupent actuellement une surface d’environ 8 ha, alors que sur la même emprise cette surface est évaluée à environ 470 ha d’après les cartes du 19ème siècle (avant la rectification du Rhin).
Ces quelques zones humides résiduelles abritent une incroyable diversité biologique, notamment au niveau herpétologique (nombreux amphibiens comme le Sonneur à ventre jaune, la Rainette verte, le Crapaud accoucheur, des tritons,…) et entomologique (libellules notamment).
Cependant, en l’absence de crue ces zones humides ne sont pas rajeunies et sont en voie d’atterrissement ou de fermeture. En substitution de la dynamique fluviale, des travaux d’entretien sont nécessaires pour conserver les espèces qui y ont trouvé refuge.
En évoquant la richesse actuelle de l’île du Rhin, on doit garder à l’esprit qu’à l’échelle de l’ensemble de l’écosystème rhénan les choses ont bien changé depuis un siècle et demi. Les efforts portés pour la conservation des derniers espaces naturels rhénans depuis plusieurs décennies ne concernent qu’une maigre voire infime partie du paysage façonné par le Rhin au cours des siècles qui ont précédé sa domestication.